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Édition novembre 2023

L’APPEL DE LA BERNACHE

Appels territoriaux!

TROISIÈME PARTIE

L’APPEL DE LA BERNACHE

Appels territoriaux!

TROISIÈME PARTIE

Texte, photos et vidéos
Michel La Haye*
Vidéos : prise et montage, François Lévesque

*L’auteur est guide de chasse à la sauvagine

Mise en contexte

Enfin, le dernier article de la série qui me tient tant à cœur, celui sur les appels territoriaux. Un petit rappel (pour les paresseux qui ne retournent pas lire les anciennes parutions 😉), comme je le mentionnais dans le second article de la série, il existe deux grandes familles d’appels, soit ceux de bienvenus et territoriaux. Oui, vous me direz très logiquement qu’il est contradictoire de vouloir faire venir des outardes à portée de tir en leur lançant des menaces par la tête! Vous avez en partie raison, il faut être prudent avec l’utilisation de ces appels! Lancés vers une petite famille qui s’approche, ils pourraient les effrayer, vers un groupe d’oiseaux aguerris en fin de saison, au contraire, ils vont certainement susciter leur curiosité.   

Voici pourquoi en quelques mots; en réaction à une bande étrangère qui s’approche de leur lieu de repos ou d’alimentation sans permission, les bernaches passent en mode territorial pour affirmer leur position. J’ai souvent observé ce comportement chez des groupes composés principalement d’oiseaux âgés, en couple et parfois célibataires, surtout en fin de saison. En effet, les clans familiaux ont, pour la plupart, quitté nos contrées depuis belle lurette et il ne reste souvent que des bernaches plus âgées et averties.  De plus, les bernaches forment rarement de nouveaux couples en automne après la perte d’un ou une partenaire, une partie des individus de ces clans tardifs sont composés principalement de ces célibataires. Je n’ai pas de grandes données et analyses pour appuyer cette hypothèse, mais plusieurs dizaines d’années d’observations.

Toutefois, les plus vieux sujets d’un attroupement composé de plusieurs familles adoptent aussi cette attitude régulièrement durant toute la saison de chasse. Je n’ai pas pris la peine de trouver des références formelles pour expliquer leur comportement, mais en observant mes bernaches domestiques, je suis venu à penser qu’ils veulent ainsi protéger les jeunes du groupe et qu’ils craignent la présence de gros oiseaux adultes capables de les bousculer sans ménagement (voir vidéo 1). J’ai souvent observé ce phénomène, en début d’octobre, lorsque les premières volées de bernaches arrivent dans notre région.

Un petit groupe familial ou une outarde solitaire en approche utilisent, de manière un peu tragique, ces mêmes appels, longs plaintifs et alarmants, juste avant de se poser au sol parmi des individus aux intentions inconnues. Parfois bien reçu, parfois moins, ce petit groupe risque toute une raclée, voire la perte de quelques touffes de plumes, s’il n’est pas le bienvenu! Les bernaches sont très grégaires et tolérantes à l’intérieur de leur clan, mais peuvent être maussades, agressives et vraiment guerrières entre les groupes familiaux si une approche polie et courtoise n’est pas respectée.

Posture agressive d’un couple d’outardes.

Vidéo 1 : comportements territoriaux de bernaches.

Appeler qui, comment et surtout quand

Faisons une analogie avec notre société humaine, imaginez que vous déambulez dans la rue avec votre famille. En pénétrant dans un restaurant, vous entendez une bonne dispute, des paroles cinglantes et un ton agressif. Si vous êtes avec vos enfants, par exemple, je doute fort que vous restiez là pour voir ce qui s’y passe. Vous allez rapidement côté jardin sans hésiter! Probablement que vous irez plus loin et choisirez un endroit plus calme pour manger en paix avec votre clan familial!

De même, si vous êtes avec deux ou trois bons copains costauds et sûrs d’eux, la curiosité l’emportant, vous allez probablement faire un tour dans le restaurant bruyant et inquiétant. Vous n’hésitez pas vraiment, surtout si vous avez très faim et que vous ne voulez pas attendre d’en trouver un autre plus loin.

Tel que décrit dans la mise en contexte, les outardes agissent de la même manière selon la vulnérabilité du groupe au sol ou en vol, qui dépend en bonne partie de la proportion de jeunes le composant. Par exemple, si vous voyez venir un petit groupe familial, laissez de côté les grosses notes territoriales et gutturales, sinon celui-ci risque de carrément vous éviter, les parents voulant prévenir leurs jeunes de tout danger. Je vous explique plus bas le principe de transition entre ces deux types d’appels, vidéos à l’appui. Avec une grosse formation en vol composée de plusieurs familles, il y a de fortes probabilités que vos appels de bienvenue fassent décrocher quelques jeunes sans expérience qui voudront satisfaire leur curiosité devant tant d’encouragements bienveillants.

La situation est bien différente si la bande qui approche est composée d’outardes costaudes et principalement de vieux sujets grincheux, surtout en fin de saison. Allez-y gaiement avec les appels territoriaux, car ces oiseaux connaissent bien les autres appels et les ignorent la plupart du temps (il vous est sûrement déjà arrivé d’être totalement ignoré par ces groupes en fin de saison).

Ces vieilles outardes interprètent vos appels en considérant que le site renferme probablement de la nourriture ou qu’il est sécuritaire. Elles n’hésitent pas une seconde, s’appuyant sur leur expérience, et leur force, pour venir défier les outardes au sol et s’approprier ce site prometteur. Cela s’applique également aux gros mâles solitaires qui n’ont peur de rien ni de personne et qui, à l’instar des jeunes outardes réagissant aux appels de bienvenue, quittent leur formation pour venir voir ce qui se passe au sol.

Quels sont ces appels aussi autoritaires ?

Contrairement aux appels de bienvenue, ce ne sont pas des appels clairs et aigus, mais plutôt gutturaux, parfois rauques, puissants et le plus souvent à consonance tragique. Les notes produites sont profondes, lourdes et très nasillardes (sauf chez les jeunes bernaches qui ne savent pas encore très bien appeler). À l’époque, lorsque je me suis mis à la tâche d’apprendre à produire ces appels, il n’existait pas de DVD ou vidéos d’instruction. J’y ai bien mis une bonne douzaine de soirées lorsqu’un bon soir, ma compagne d’alors monte l’escalier en courant et me dit : « OK OK OK c’est en plein le bon son, tu as réussi, bravo, mais on en peut plus! ».  En effet, outre le (train) qui est bas rauque et de courte portée, la majorité des appels territoriaux sont puissants et durs pour l’oreille humaine (merci à ma famille pour ces années de patience).

Comme pour les autres articles, j’utiliserai les termes anglais (entre parenthèses), mieux connus, pour les présenter. Le tout premier appel à connaître, et à maîtriser, est sans aucun doute le cri « craché » (spit note), pouvant se transformer en cri d’alarme (note répétée à intervalle régulier et accompagnée d’un mouvement arrière de la tête). Le début de cet appel sert également à produire toutes sortes de cris gutturaux allant de plaintes sourdes à des cris rappelant l’appel de la dinde sauvage femelle (turkey), que les bernaches font quand elles sont en colère!

Les autres appels territoriaux les plus classiques que les outardes émettent dans les situations de stress ou de conflit sont souvent des plaintes poussées avec force, profondes et sourdes (spit moan), de grognements rauques et très nasillards émis en decrescendo (train).  

Les (double clucks) présentés dans le second article font partie des appels de bienvenue, mais d’autres sons émis en duo servent à exprimer le mécontentement ou l’agressivité. Il s’agit d’une série de deux sons, une plainte rauque (moan ou spit moan) suivie d’un hoquet (kit) qui sonne comme un (cluck) raccourci. Les couples d’outardes utilisent beaucoup ces appels au printemps pour éloigner les intrus de leur nid. Souvent, cette séquence est suivie d’un (train) très guttural et profond. Accompagné de (spit notes) et de (turkey), cet appel est très productif en fin de saison s’il vise des groupes composés de vieilles outardes méfiantes et expérimentées, comme je l’explique plus loin (voir vidéos 2 et 3).

Le hic avec cet appel réside dans la difficulté de le produire de manière contrôlée et constante. Je vais tenter de vous expliquer comment bien contrôler cet appel et le produire avec une bonne régularité.

Vidéo 2 : quelques exemples d’appel territoriaux (turkey et spit note) produits par les bernaches.

Vidéo 3 : ici, les bernaches émettent d’abord un (double cluck) en mode (spit note), suivi de quelques (trains).

Deux petites sœurs; le Turkey et la Spit note

Les facteurs de contrôle des appels dont il a déjà été question dans les deux articles précédents  sont la pression d’entrée d’air, la pression de retour et la dimension de la cavité buccale. Je vous ai suggéré, dans le premier article, de ne faire varier qu’un seul élément à la fois pour apprendre à maitriser les appels de bienvenue. Je vous ai expliqué également qu’il importe de positionner le bout de la langue sur le bord intérieur des dents de la mâchoire inférieure et de se servir de toute l’arche de la langue pour produire les appels sans exagérer la pression d’entrée d’air et sans faire varier les autres éléments de contrôle (schéma 1). Oubliez ces principes avec les appels avancés telle la (turkey) et la (spit note).  En effet, il vous faudra exagérer la pression d’entrée d’air dans l’appeau tout en faisant varier la dimension de votre cavité buccale et en plaçant le bout de votre langue derrière le pont de votre palais au départ (schéma 2) !!!  C’est la libération soudaine, et brusque, du flot d’air qui produit ces appels exactement comme lorsque vous voulez cracher loin et fort (d’où le nom de spit note) en compressant l’air entre vos dents et en la projetant violemment entre celles-ci (schéma 3). 

Schéma 1 : position de base pour les appels de bienvenue et sociaux avec le bout de la langue appuyé sur le bord intérieur des dents de la mâchoire inférieure avec toute l’arche de la langue qui se déplace pour produire les appels.

Schéma 2 : position de départ pour produire les appels avancés dits de pression avec le bout de langue appuyé contre le pont du palais pour former un compartiment étanche dans l’espace ainsi créé

Schéma 3 : bout de la langue déplacé vers le bas pour produire le (turkey).

Avant d’aller plus loin, il importe de vous faire l’oreille sur les sons à reproduire ou du moins à imiter.  Peut-être n’avez-vous jamais entendu les bernaches produire ces sons ?

Pour produire ces notes avancées, il faut d’abord bâtir une grande pression d’air dans l’espace compris entre l’arche ou le dessus de la langue et la partie arrière du palais.  Le (turkey) est produit en bâtissant cette pression puis en relâchant soudainement l’air entre les dents du haut avec le plus de pression possible. Le mot clef qui fonctionne le mieux est « Tchhouuu ». Il faut produire un son distordu et strident, qui dépasse le spectre de fonctionnement de l’appeau. Sans pression de retour, vous devriez entendre ce type de son désagréable (voir vidéo 4; section suivante).  Vous verrez que certains modèles d’appeau bloquent à ce stade-ci. Ils ne sont pas tous conçus pour produire les notes de pression et il faut bien se renseigner avant de s’en procurer un. Lorsque je parle de distorsion, je suis sérieux, il s’agit du son qu’il faut produire pour faire un bon (turkey) qui est la base du (spit note) à la différence près que le bout de votre langue demeure en avant entre les dents quand vous produisez un (turkey) (schéma 3) sans revenir en arrière à sa position initiale.  Il faut appliquer beaucoup de pression de retour pour adoucir le son et enlever les pics de distorsions (voir vidéo 4; section suivante).  Pour vous aider à produire ce cri, vous pouvez ajouter un peu de son et prononcer le « ou » du mot clef brièvement en vous servant de la partie arrière de votre gorge. Ne vous en faites pas si vous ne sonnez pas exactement comme les bernaches in situ.  Je peux vous garantir qu’il y a autant de variantes de cet appel que de bernaches! L’essentiel est que vous reconnaissiez le son caractéristique d’un cri de dinde, mais avec un son plus guttural à la fin du cri. 

Maintenant que vous savez comment produire un bon (turkey) nous allons passer aux choses sérieuses attaquer à la fameuse (spit note).

Pas facile, mais si utile la spit note

Voici environ 10 ans, j’ai entendu cette note dans une routine de compétition du grand champion Scott Threinen avec lequel j’ai bien failli reprendre, en sa compagnie, son fameux CD Bad Grammar en français (dont plusieurs explications concordent avec mes tout premiers articles sur le sujet dans les années 90).  Feu Tim Grounds également produisait un cri très proche de la (spit note), mais plus sourd et moins strident. Comme je l’ai mentionné plus haut, j’ai mis plusieurs soirées consécutives d’essais avant de comprendre comment émettre cette satanée note! Le secret pour produire cette note réside dans le synchronisme entre la langue et la poussée d’air. En effet, contrairement au (turkey), qui est la technique initiale pour produire une (spit note), il faut que le son soit produit au retour de la langue à sa position de départ. Vous utilisez alors le mot clef « Tchhouuu itche ou outch » (voir vidéo 4). La turbulence ainsi créée entre celle-ci et l’arrière du palais produit la fameuse note. Encore une fois, il faut appliquer beaucoup de pression de retour pour atténuer la distorsion et rendre l’appel le plus langoureux et tragique possible. Je vous explique les étapes de réalisation de cet appel dans le dernier extrait vidéo avec une démonstration de l’effet de l’ajout graduel de la pression de retour.

Vidéo 4 : explications détaillées concernant la (spit note).

Une panoplie de sons et d’appel

La (spit note) peut être employée telle quelle ou pour produire des cris de rappel ou de doubles gloussements (voir vidéos de bernache ci-dessus). Pour les cris de rappel (come back call), on peut soit l’allonger en fin d’appel  ou la  raccourcir au début pour initier le cri. Elle peut être répétée très rapidement de manière saccadée (quick spit) avec une seule note ou avec deux différents sons pour produire un double gloussement (double cluck).  Je fais une petite tournée rapide de ces sons dans la vidéo sur la (spit note). Comme vous l’avez vu sur les vidéos avec les bernaches en action, les couples émettent souvent ce cri durant la nidification ou même tard à l’automne. J’utilise beaucoup ce cri en fin de saison, parfois plus que 80 % du temps! Vous pouvez aussi l’introduire parmi une série d’appels sociaux et de bienvenue au début et au cœur de la saison, mais sans trop insister, car vous allez sans doute intimider les clans familiaux qui iront se jeter hors du plan pour éviter tout conflit et des blessures à leurs jeunes.

Les deux seuls bons trucs que je peux vous donner pour parvenir à maitriser cet appel sont l’écoute des vraies bernaches et des séances de pratiques assidues et constantes. Cet appel est aussi difficile à apprendre et à maitriser qu’il est facile de le perdre sans le pratiquer régulièrement. Les pratiques sont plus efficaces en groupe et avec votre partenaire de chasse habituel, car il est facile de croire soi-même que nous produisons le bon son alors que nos appels ressemblent plus à des gloussements et des doubles gloussements, car la ligne est très mince entre ces sons et la (spit note). Utilisez une enregistreuse électronique, mentionnez la technique que vous allez utiliser et faites l’appel, cela vous aidera à centrer votre technique vers une véritable (spit note) bien sonnante et tragique.

Une autre corde à votre arc

J’aurais pu écrire un article quatre fois plus long sur les appels territoriaux, les techniques avancées, les changements de rythme et le contrôle du volume, mais je vous réserve ces sujets pour plus tard. Cependant, j’aimerais quand-même vous introduire sur la technique des triolets, soit une série d’au moins trois (clucks) ou (spit notes) répétée tout de suite avec la même poussée d’air. Cette technique avancée vous permet d’ajouter de l’intensité et de la consistance dans votre série d’appels lors de l’approche finale des bernaches. Les mots clef sont les mêmes que pour le (cluck) ou la (spit note), la différence réside dans la continuité entre les sons produits dans la série. Par exemple, pour produire un triolet avec des (clucks), on débute avec le mot clef  « TwhiT »,  mais en omettant le « T » final en le remplaçant par une courte plainte comme ceci : « Twhi _haa_wit », la technique est bien démontrée sur la vidéo 5.  Vous pouvez répéter la suite autant de fois que vous voulez, la placer entre une série de (cluck) ou de (double cluck), ou de notes poussées. Bien entendu, cette technique s’applique également à la (spit note), mais elle demande pas mal de dextérité de la part du « calleur ».

Vidéo 5 : explications détaillées de la technique d’appel des triolets.

En conclusion : les transitions d’appels

Je vais vous illustrer le principe de transition entre les deux types d’appels que nous avons parcourus dans les trois articles au moyen des deux vidéos suivantes que nous avons tournées expressément pour les fins de l’article au début du mois d’octobre.  Dans la première (vidéo 6), je débute les appels avec ceux de bienvenue, j’insiste, je varie le rythme et la vitesse des enchaînements, mais les bernaches ne « mordent » pas à mes complaintes! Question de les provoquer un peu, je lance quelques (spit notes) qui semblent avoir capté leur attention, puis je retourne aux appels de bienvenue pour terminer la série.  Dans la seconde vidéo (vidéo 7), même chose, je débute avec des appels de bienvenue, puis je tente quelques (spit notes), les bernaches réagissent au quart de tour, alors je garde ces appels jusqu’au moment du tir. 

Vidéos 6 et 7 : principe de transition entre les appels de bienvenue et ceux de type territorial.

SÉBASTIEN DUPUIS

Un groupe de chasseurs heureux de leur belle récolte de bernaches grâce aux appels de l’auteur qui est également guide de sauvagine.

En conclusion, ce que je veux que vous reteniez, plus vous maîtrisez une grande panoplie de cris dans les deux catégories vues au cours des trois articles, plus vous augmentez vos chances de dénicher celui ou ceux qui capteront ET garderont l’attention des bernaches jusqu’à portée de tir. Bien entendu, un bon sens de l’observation pour déceler rapidement les changements de comportements des bernaches selon vos appels, une belle technique de « calleur », de la passion à revendre et une bonne tête dure, sont autant d’atouts que vous devez avoir pour déjouer régulièrement les joues blanches. Sur ce, je vous souhaite une excellente continuation dans votre saison sauvaginière!

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